SIG responsable : on en est où ?
Sommaire
Commençons par un rappel très rapide sur les impacts du numérique et les enjeux qui se posent à nous. Le déploiement du numérique dans tous les domaines pose en effet des questions d’impacts environnemental, social et éthique. On rappellera notamment que le numérique représente, en 2022, 4.4% de l’empreinte carbone de la France (étude ADEME 2024) contre une évaluation à 2.5% en 2020 et que cette augmentation tend plutôt à se renforcer avec des perspectives vertigineuses et des impacts multiples (multiplication des appareils, datacenter surpuissants, extraction de matériaux, consommation d’eau et d’énergie…).
Ce phénomène est désormais connu et suivi et des initiatives se multiplient, s’appuyant notamment sur un premier cadre réglementaire. La loi REEN en particulier (2021) a permis de franchir un niveau avec des dispositions en faveur de l’allongement de la durée de vie des produits, la mise en place d’un référentiel général d’écoconception des services numériques (RGESN), l’introduction de modules dédiés dans les formations ingénieur ou encore l’obligation faite aux collectivités de taille suffisante d’adopter une stratégie numérique responsable.
De fait, des actions sont mises en place pour développer des filières plus vertueuses, sensibiliser les usagers, mettre en place de bonnes pratiques et intégrer des critères de sobriété (comme d’accessibilité) dans les nouveaux services. Le RGESN regroupe en particulier 78 critères d’évaluation de la conformité d’un service numérique avec quatre objectifs : allonger la durée de vie des terminaux, réduire la captation de l’attention, diminuer les ressources mobilisées et être transparent.
Mais qu’en est-il des Systèmes d’Information Géographiques (SIG) ?
Force est de constater que le SIG n’est pas au centre de l’attention des politiques et plus globalement des stratégies numériques responsables lorsqu’elles existent. Si les données géographiques existent de longue date, et les systèmes pour collecter, gérer, traiter, partager et visualiser ces données aussi (voir article sur l’histoire du SIG), si le secteur a été parmi les premiers à organiser la mise en commun des ressources (voir l’article sur la directive Inspire), ce n’est à ce jour pas sur le SIG que le point d’attention a été porté côté numérique responsable.
Il y a déjà tant à faire pour optimiser la gestion des parcs informatiques et téléphoniques, mieux gérer les applications grand public et les services en streaming ou questionner les outils les plus employés … Les services SIG, souvent traités un peu « à part » dans le SI des organisations, un peu complexes aussi, avec un nombre d’utilisateurs réduit, ne sont pas traités en priorité. On reconnaît cependant l’importance des SIG pour analyser les données de notre environnement, nos infrastructures et nos équipements et aider la décision pour l’aménagement et la gestion de nos territoires, notamment pour s’adapter et limiter les effets du changement climatique. Ils manipulent pour cela des données toujours plus massives, alors comment limiter l’impact de ces outils si utiles ?
Ce sont les acteurs de la filière SIG (producteurs de données, prestataires de services, éditeurs) qui ont décidé de s’emparer du sujet de manière collective, sous la bannière de l’Afigéo, dans le cadre d’un groupe de travail Géonumérique responsable. Les premiers résultats ont été partagés aux GeoDataDays 2025 et un livre blanc est en rédaction pour le début de l’année 2026. En parallèle et pour alimenter ces travaux, Naomis a accueilli un stage dédié sur la période mai – août 2025. Nous proposons ici quelques éléments issus de ces réflexions.
Ecoconception des services (géo)numériques
Rappelons tout d’abord que les SIG sont des services numériques et les critères du RGESN sont très largement applicables aux SIG.
Pour mémoire voici ci-dessous certains points clés des critères prioritaires :
- Valider l’utilité des solutions déployées
- Définir le service pour les utilisateurs (cibles, besoins, attentes)
- Evaluer régulièrement le service
- Fixer des objectifs de réduction ou limitation des impacts
- Utiliser des technologies standards interopérables
- Assurer la compatibilité avec différents matériels, systèmes d’exploitation et navigateurs, y compris anciens
- Prévoir la maintenance et le décommissionnement
- Evaluer les fournisseurs et services tiers
- Limiter les lectures automatiques et notifications,
- Réduire les définitions et compresser les images et vidéos
- Interroger l’hébergement (réduction de l’empreinte environnementale, gestion durable des équipements et optimisation des consommations énergétiques)
Les spécificités des SIG et les leviers d’action
Pour autant, les SIG comprennent des éléments qui nécessitent une attention particulière : volume de données massif, issues des systèmes de collecte divers et potentiellement à fort impact, utilisation large des API pour la mise à disposition de données (wfs, wms, wmts), traitements gourmands, déploiement d’interfaces cartographiques. Les formats raster, lidar et plus largement les données 3D renforcent la nécessité de s’interroger sur les bonnes pratiques de conception des SIG.
Lorsqu’on cherche à déployer un service SIG, il apparaît vite que l’impact environnemental est directement lié aux volumes de données intégrés et générés. Ce sont les volumes de données qui mobilisent les infrastructures, sollicitent les processeurs (excluant potentiellement l’usage de certains terminaux) et consomment de l’énergie (serveurs et terminaux).
Sans avoir défini précisément une clé d’équivalence Go <> eqCO2, nous nous sommes donc attachés à interroger les bonnes pratiques de stockage et d’utilisation des données afin de limiter leur volume.
Voici quelques résultats, qui sont autant de points de vigilance et de leviers d’action. Si certains sont connus voire évidents, le mérite des tests réalisés ici est d’en évaluer l’impact en termes d’ordre de grandeur :
- Les fonds de plan utilisés : multiplication par 10 du volume de données embarqué pour un plan orthophoto IGN par rapport à un fond de plan type OpenStreetMap
- Les formats de stockage : rapport de 1 à 3 selon les formats existants, avec des bonnes pratiques qui diffèrent entre des jeux de données très simples (zone d’étude, quelques points…) pour lesquels les shapefiles, kml ou geojson sont très adaptés, et les jeux de données plus complets ou complexes pour lesquels les formats Geoparquet ou Geopackage deviennent intéressants. Pour des projets plus complets, les bases de données type PostGreSQL / PostGis deviennent vite intéressants.
- Le paramétrage des services pour la publication des données sur les serveurs web, en particulier le choix des formats, la gestion des caches et le tuilage sont des points d’attention forts pour limiter les impacts des architectures.
Le tuilage permet d’améliorer la navigation sur les applications web en précalculant les images à afficher, mises en cache. Il doit permettre de précalculer les tuiles couramment utilisées par le plus grand nombre (afin d’éviter de les recalculer pour chaque utilisateur et d’améliorer l’expérience), mais aussi de limiter le volume à stocker, notamment sur des niveaux ou des étendues peu ou non utilisées. La fréquence de mise à jour peut ici aussi être un critère de décision afin d’éviter de pré calculer des éléments inutiles.
Les tests réalisés montrent une croissance exponentielle du cache lorsqu’on ajoute des niveaux de zoom, il est donc important de limiter cette mise en cache au strict nécessaire (voire de limiter les zooms).
On notera aussi que la diffusion en jpeg de préférence au png peut permettre des gains de 30% à 50% sur la taille des données chargées, voir des gains d’un rapport de 1 à 3 pour de gros volumes de tuiles mises en cache. Des stratégies de cache hybride couplant jpeg et png ou png 8 pour certains niveaux de zoom peuvent être adoptées. Enfin les tuiles vectorielles, qui ne sont pas encore supportées par tous les clients, peuvent être une alternative intéressante pour les données vectorielles, les formats vectoriels étant nettement moins volumineux (rapport de 1 à 10).
- Les fonctionnalités des applicatifs sont également à interroger pour limiter le volume de calculs. Les opérations de buffer mais aussi de zoom s’avèrent ainsi assez coûteuses et peuvent être limitées.
- Enfin la gestion de la symbologie est un point d’attention : les symboles complexes peuvent alourdir significativement les couches de données (sans toujours en améliorer la lisibilité !).
Un exemple très simple d’optimisation : éviter la haute définition si elle n’est pas nécessaire ! Un modèle 3D peut ainsi passer de 300 Mo à 14 Go selon la définition retenue (x 46 !), sans que le gain de qualité soit significatif pour la majorité des usages. Sur les images ci-dessous celle de droite est en Haute Définition.
Ça dépend (ça dépasse)…
Encore une fois on notera ici que la question des usages revient sur le devant de la scène. Il n’y a en effet pas de bonne réponse pour tous les cas, sinon les bonnes pratiques générales seraient sans doute passées dans les usages, tant sobriété peut rimer avec performance et économie.
Une fois validée bien sûr l’utilité des applications et des données embarquées, il est nécessaire pour concevoir les applications SIG de poser des hypothèses d’usage des systèmes pour bien définir les paramétrages adéquats :
- Volume d’utilisateurs
- Zones géographiques utiles (petite zone commune à tous ou périmètre large avec des possibilités d’analyses très diverses d’un utilisateur à l’autre)
- Fréquence de consultation des données
- Volume et fréquence de mise à jour des données
- Exigence de réactivité et de fluidité, contextes d’utilisation et profils cibles
L’optimisation des services sur le plan de la sobriété ne doit pas se faire au dépend de l’ergonomie qui garantit la bonne utilisation des applications. On évitera tout ce qui est superflu voire gadget mais on veillera à la qualité et à la performance des applications sur les fonctionnalités clé. Il s’agit bien ici de faire des choix éclairés !
En conclusion
Il ressort notamment de ces premiers travaux l’importance d’identifier les leviers d’action pour améliorer les systèmes et la nécessité de tester les différentes configurations et d’évaluer les usages et les impacts. Certains leviers d’action comme les formats de stockage peuvent avoir un impact de 1 à 3 voire de 1 à 10. Il est essentiel que les concepteurs et développeurs des applications intègrent ce critère de sobriété et de performance. Cette étape peut nécessiter du temps et de l’investissement mais éviter la mobilisation inutile de ressources (infrastructures et énergie), qui, à l’échelle de l’ensemble des applications SIG à venir, promettent d’alourdir encore le bilan du numérique et de nos activités sur la planète.
A ces questionnements sur la conception, la mise en œuvre et l’évolution des applications SIG s’ajoutent déjà des questionnements sur les usages de l’IA, modèles pour produire des données métiers exploitables à partir des sources Images ou Lidar ou assistants pour faciliter et améliorer les tâches quotidiennes des géomaticiens et utilisateurs des SIG. Peut être encore plus qu’ailleurs, les questions de l’utilité, des arbitrages et des impacts sur nos sociétés doivent être ici posées au regard de la course effrénée au développement de modèles coûteux et à leur adoption dans tous les domaines. On dépasse ici le cadre de ce premier article.
Enfin l’épineuse question de l’accessibilité des services géonumériques n’a pas été traitée ici et reste un sujet à explorer, peut être un usage pertinent des IA ?
Merci à Lamiae Bouraqia pour son gros travail d’état des lieux et l’ensemble des tests réalisés qui nous ont permis d’avancer sur ces travaux.
Merci également à Martin Delsinne pour son suivi attentif et son expertise technique.
Ces derniers ne sont bien sûr pas finis : en cible, de bonnes pratiques de configuration et paramétrages des environnements web (Geoserver notamment) et des travaux sur des environnements propriétaires (Esri), et bien sûr la parution prochaine du livre blanc du GT Géonumérique responsable avec l’Afigéo.
L'AUTEUR